Rencontre avec Marie Sizun

  1. J’ai toujours écrit même enfant de petites histoires pour lesquelles je me fabriquais à sept ans des livrets avec des feuilles de cahier coupées et collées. Adolescente, puis adulte j’écrivais pour moi-même des textes courts, des nouvelles, et, bien sûr, un journal que je tiens encore plus ou moins. Mais je n’ai commencé à vraiment écrire qu’à l’âge de la retraite parce que j’ai eu, alors, le temps de travailler et la volonté de publier.
  2. Mes thèmes de prédilection : l’enfance, la famille, la solitude, l’amitié et l’amour. La rencontre. Le mystère de la personnalité de l’autre. L’histoire des êtres. La force de l’environnement. L’attachement aux maisons, aux objets, la persistance du souvenir. Mais aussi l’amour des fenêtres, de la lumière, de la beauté du temps qu’il fait quel qu’il soit, plein soleil, pluie ou brume : c’est d’ailleurs pour cela que, hiver comme été,  je m’accommode au mieux de la Bretagne, où, en plus, il y a la mer que j’aime tant décrire, peindre (pour moi la même chose), et dont j’ai du mal à me passer quand je suis loin. La mer, découverte dans l’enfance comme un miracle. La mer image de la liberté heureuse, mais aussi du danger, de l’infini, de l’ailleurs, de la mort. La mer qui rend plus vrai et plus intelligent celui qui la regarde.
  3. C’est déjà répondre à votre question sur mon lien avec la Bretagne.  Il n’est aucunement de sang ni de naissance, encore que ma rencontre enfant avec la Bretagne à un moment de profond désarroi familial ait été pour moi une révélation jubilatoire : celle du bonheur toujours possible, et ça ne s’oublie pas. J’ajoute que j’ai été accueillie dans ce pays avec une gentillesse, une ouverture de cœur et d’esprit comme nulle part ailleurs.  J’ai d’ailleurs choisi pour signer mes tableaux et plus tard mes livres un nom breton, Sizun, celui d’un lieu dont la beauté m’avait intensément émue, Cap Sizun.  Et comme je revenais toujours passer mes vacances dans le Finistère, j’ai fini par y acheter, il y a presque quarante-cinq ans, une vieille maison qui n’a rien d’une villa mais que j’aime beaucoup. J’y retourne aussi souvent que mon âge et ma santé le permettent.
  4. Mon dernier ouvrage va peut-être surprendre, car j’ai osé prendre de front en m’appuyant sur une douloureuse expérience, le grand problème, celui de la mort d’un être cher. Raconter sans faille ni fausse pudeur. Dire aussi ce qui nous est alors révélé de la vie et de nous-mêmes.

La perte de l’autre, la grande misère de cet arrachement, de ce dépouillement peut devenir épure, approche paradoxalement heureuse de notre vérité. C’est ce qui m’a poussée à écrire ce livre qui n’est ni roman ni récit mais témoignage ému d’un chagrin  dans lequel certains, j’espère, retrouveront le leur, si différent qu’il soit.

  • Encore si imprégnée de la gravité de ce texte, il m’est impossible de passer pour le moment à l’écriture d’un roman. Mais reprenant par hasard d’anciennes lectures, en particulier de romanciers du XIXeme siècle, avec un autre regard que celui du professeur que j’étais, l’idée m’est venue d’un travail : de m’interroger de façon plus précise sur l’écriture de tel auteur que je croyais bien connaître,  sur sa personnalité. D’en faire découvrir un nouvel aspect. Ainsi relire Maupassant dont j’avais comme beaucoup une image surfaite, m’oblige à couvrir des pages de notes. En sortira-t-il quelque chose ? C’est en tout cas un travail très plaisant et salutaire.
  • Je suis une lectrice passionnée, intransigeante, facilement extrême dans mon enthousiasme comme dans mes rejets. Je le sais si bien que je me garde de proférer publiquement une critique négative sur un auteur dont on me parle. En revanche quand j’admire ce n’est pas à demi et je le dis hautement.

Je lis presque toujours  le crayon à la main par déformation professionnelle, et par plaisir. C’est comme une conversation secrète avec l’auteur

Mes goûts personnels : les romans et les nouvelles. Je suis une inconditionnelle de Proust que je ne me lasse pas de lire et relire dans tous les sens : il peut me faire mourir de rire et me bouleverser dans la même page. J’ai toujours été passionnée par Dostoievski, seul auteur dont je n’ai jamais pu interrompre la lecture d’un roman commencé. Je me trouve chez moi dans les romans d’Henry James et de Virginia Woolf. Mais j’avoue avoir un peu de peine avec les romanciers français tout à fait contemporains : j’en suis restée, avec amour, à Camus et Duras, hors quelques heureuses surprises !

Je suis très heureuse de me voir attribuer le Prix Bretagne pour l’ensemble de mon œuvre ! moi qui ne suis bretonne que par une tendresse de cœur née de hasards, un nom usurpé, une maison achetée. J’ai reçu d’autres Prix dont celui du magazine ELLE, celui du Télégramme, en 2007 pour La femme de l’Allemand, puis en 2016 le Prix Bretagne pour La gouvernante suédoise, et en 2017  le Prix de L’Académie Française pour un recueil de nouvelles, Vous n’avez as vu Violette ? Enfin en 2021  le Prix de l’Académie littéraire de Bretagne  et des Pays de la Loire pour La maison de Bretagne. Tous ces Prix m’ont fait honneur et remplie de joie, mais celui que vous me décernez me touche particulièrement parce qu’il reconnaît une fidélité devenue une manière de filiation.

Un jour, dans une soirée littéraire à Paris, j’ai entendu à leur insu deux personnes parler de moi sans me connaître.: « – Qui ça ?demandait l’un.

-Marie Sizun.

-Ah oui ! La Bretonne ? »

Je n’ai rien dit bien sûr, mais j’ai été très fière.

Le Salon « Lire la Bretagne », j’y ai participé  au moins trois ou quatre fois, tantôt à la Mairie du 14eme, tantôt rue Delambre ! Et chaque fois avec un réel bonheur ! désolation l’année dernière qu’il n’ait pu avoir lieu.

Quelle joie d’être accueillie par Françoise Le Goaziou et sa famille, de retrouver les organisateurs, de revoir les auteurs d’année en année, d’en connaître d’autres et enfin de tomber dans les bras des lecteurs connus et inconnus, venus toujours  plus nombreux et animés d’une amitié commune pour la Bretagne ! Il y a dans ce salon une atmosphère toute spéciale, une chaleur, une complicité, des sourires qui n’ont rien d’artificiel, mais disent un amour vrai de la lecture et je ne serais pas étonnée d’apprendre que les Bretons sont les meilleurs lecteurs de France.